ORALIEU

Ce blog est encore en construction. Il évoluera, se complètera et s'améliorera encore longtemps.
Oralieu est un ensemble de performances, liées à des lieux, inventées par Alexis Fichet. Il y a 5 performances, liées à 5 lieux dans le Monde : Conakry (Guinée Conakry), Planguenoual (France), Magenta (Nouvelle Calédonie), Fulong (Taïwan) et Limeni (Grèce). Ces noms sont des mots clés qui permettent de voir tous les posts relatifs à une performance précise.
D'autres mots clés ouvrent sur des notions transversales.
L'ensemble de ce blog n'est que le versant désarticulé des performances. C'est dans les performances que l'ensemble prend corps et que le savoir devient poétique.
Mais il y a aussi un certain plaisir à la désarticulation...

Le poulpe est un contenu



Il existe à Limeni toute une récurrence de boîtes, bulles, amphores, tests et têtes : des contenants. Le poulpe lui-même est un contenant : il contient de l'encre. Pourtant, plus on s'approche du poulpe, plus il s'échappe. Sa propriété de mollusque n'est-elle pas d'être un contenu sans coquille ? Le poulpe serait alors un contenu, une étendue, une intelligence faite corps, sans cesse à la recherche de son contenant : un trou, une amphore...

Le Beau et la Nature

Le drame du Beau naturel est toujours le même : comment trouver belle une chose qui n'est pas d'art ? C'est-à-dire : comment trouver quelque chose de naturel plus ou moins beau ? 

Soit la Nature est ce qui n'a pas été voulu, et le résultat d'une non volonté ne peut pas être plus ou moins réussi ; il ne peut pas correspondre plus ou moins à son concept, ou à son idée, puisqu'il n'a pas d'idée, pas de concept. Soit la Nature a été voulue par un créateur et, à moins de penser qu'il n'est pas tout puissant, il est incongru de penser que certaines de ses oeuvres sont plus accomplies, et plus belles, que d'autres. 

Si rien dans la Nature ne peut être plus ou moins beau, c'est soit que tout y est également beau, ou bien que rien n'y est ni beau ni laid. Or la première possibilité n'est qu'une autre expression de cette indifférence : si tout est également beau dans la Nature, rien n'y est plus, rien n'y est moins ; la beauté étant une intensité, son égalisation absolue aboutit à sa neutralisation, et à sa dissolution. 

On ne perçoit donc de Beau naturel qu'à la condition de concevoir qu'un objet naturel pourrait être mieux, ou moins bien qu'il n'est ; à la condition de juger que rien n'est absolument ce qu'il est ; à la condition de comparer un objet naturel à ce qu'il pourrait être, à lui-même s'il était plus ou moins ce qu'il semble être. 

L'artiste introduit donc l'idée ou la représentation dans la Nature, pour la comparer avec elle-même. 

Tristan Garcia, dans Pierre Huyghes (catalogue Beaubourg)

Cadavre de baleine



Cousteau travaille dans les années 50 sur l'épave du Grand Congloué, au large de Marseille. La fouille durera des années, et finira par révéler cette évidence : il y avait deux épaves, l'une sur l'autre, superposées mais distantes dans le temps de plus de 100 ans. 


Ainsi une épave se superpose à une autre. 


Voici l'épave du François-Vieljeux, qui avait fait naufrage au large du golfe de Gascogne en 1979 avec à son bord une cargaison de haricots et de tournesols. Avec le temps, est apparu autour de l'épave un petit écosystème jamais observé auparavant, constitué de gastéropodes et de bivalves qui survivent par une opération chimique singulière : la chimiosynthèse. 

La chimiosynthèse, avec les mêmes animaux, sera plus tard observée sur les cadavres de baleines tombés au fond des océans. 


Ainsi se superposent l'épave d'un bateau et le cadavre d'une baleine. 


On découvrira, avec le temps, que les cadavres des grandes baleines forment de véritables écosystèmes sous-marins qui durent une centaine d'années. Ces écosystèmes, très importants dans la constitution de la biologie des grands fonds, sont très bien décrits, ici

Il faut n'avoir pas vécu, enfant...

"Il faut n'avoir pas vécu, enfant, à la campagne, pour ignorer l'étrange et complexe sentiment qu'on éprouve à pouvoir regarder à loisir, enfin coupé dans sa fuite et livré au jour, le vivant qui se cache ordinairement dans la terre, dans l'herbe ou dans l'eau, le vivant insaisissable, soit qu'on ne puisse, soit qu'on ne veuille le saisir intact parce qu'il est dangereux ou répugnant. Plus l'animal échappe à l'homme, plus il est mystérieux, et plus il stimule la curiosité, plus aisément il déclenche une frénésie de voir, puis de voir plus avant. Et comme il a fallu une violence préalable pour permettre la vision, quoi d'étonnant que la vision elle-même devienne, comme le dit M. Bachelard, une violence ?"

Georges Canguilhem, 1955


L'évolution buissonnante

Homo et Australopithèques sont des Hominina. Hominina et Panina (Chimpanzés et Bonobo) sont des Hominini. Hominini et Gorillini sont des Homininae. Homininae et Ponginae (Orang-outangs) sont des Hominidae. Hominidae et Hylobatidae (Gibbons) sont des Hominoidea. 

Et tout cela forme un arbre. Formerait un arbre. Forme en réalité une arborescence au coeur de laquelle poussent des buissons. C'est le caractère buissonnant de la lignée humaine, formule poétique qui désigne une multiplicité de branches d'un même genre, certaines disparaissant avec le temps. Ainsi, parmi les Hominina, on trouvait les australopithèques, ainsi que plusieurs espèces d'Homo. Et il y a eu finalement réduction du genre Homo à une seule espèce, nous Homo Sapiens. Certains d'entre nous portent quelques gènes hérités de croisement avec les australopithèques, qui survivent en nous, d'autres espèces ayant disparu. 



Après avoir joué à Brest une première version de Oralieu - Conakry, une spectatrice m'a écrit un mail pour me présenter, disait-elle "un ami". Elle m'envoyait dans le mail ce lien vers une émission d'Arte (http://www.youtube.com/watch?v=uxF2cKOB200qui présente Homo Floresiensis, un homme tout petit ayant vécu jusqu'à assez tard sur une île en Indonésie. Depuis l'émission cet homme de Flores a été "validé" comme une espèce à part entière. 

L'homme de Flores est donc dans le buisson. 

Immersion



Si je me demande ce qui, depuis toujours, fait mon intérêt pour les êtres vivants qui m'entourent, c'est toujours un double mouvement qui m'apparaît : d'un côté attrait et attirance et dans le même mouvement éloignement, voire fuite. Je me vis comme séparé de tout cela qui m'entoure, et pourtant j'aime m'y sentir plongé, j'aime penser que je fais partie d'un ensemble. J'aimerais m'approcher de tel animal, et pourtant lui me fuit, m'échappe, se dérobe à ma vue. 

La théorie de l'attachement de Latour serait la version théorique de ce lien qui s'échappe, et qu'on tente sans cesse de reconstruire. Je ne suis pas philosophe, je l'interprète librement, mais c'est presque une mystique, de l'ordre d'un lien secret et impossible à nommer. Nous sommes tissés de liens avec ce Monde, de liens plus ou moins directs, plus ou moins profonds. La théorie de l'évolution ne dit pas autre chose : il y a une origine à la vie sur Terre, dont nous sommes tous issus. On retrouve parfois chez un être vivant les restes d'un gène qui ne lui sert plus mais qui lui donne une parenté avec un autre être, éloigné. Ces gènes sont nommés gènes vestigiaux. 

Certains  de ces vestiges me relient au Monde. 

Mais cette connaissance théorique ne prive pas d'une sensation d'éloignement.

Entre la vie et moi, une vitre mince. J’ai beau voir et comprendre la vie très clairement, je ne peux la toucher.
Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité, 80 (trad. Françoise Laye, Christian Bourgois, 1999, p. 110)


Etrangement, dans ce Monde étranger qu'est la mer, cette sensation s'efface. En apnée on a, intimement, physiquement, la sensation de faire partie d'un tout. On se retrouve, doublement, immergé. 

Moi, les animaux, les algues, nous sommes plongés dans le même Monde. La mer est une bulle, un espace commun, un tout partagé. L'apesanteur qui y règne, le fait que mon corps puisse se retourner dans tous les sens, tout cela participe d'une manière d'être au Monde bien particulière.  

3 photos prises à Conakry




Attachement

En travaillant sur l'ibis sacré, espèce invasive bien spécifique des côtes françaises, j'ai découvert Bruno Latour, dont les livres m'intéressent beaucoup, même si je ne suis pas toujours sûr de parfaitement les comprendre. Cette citation, notamment, m'accompagne : 

« Il nous semble que cette différence entre objets sans risques et attachements risqués, « objets chauves » et « objets chevelus », compte beaucoup plus que la distinction impossible entre les crises qui mettent en cause l’écologie et celles qui mettent en cause l’économie ou la société. Nous n’assistons pas à l’irruption de questions de nature dans les débats politiques mais à la multiplication des objets chevelus, que plus rien ne peut limiter au seul monde naturel, que rien justement ne peut plus naturaliser. »

Cette vision de l'écologie considérée comme une pensée du lien, de l'attachement, me touche énormément. Les choses ne sont pas séparées, elles sont chevelues, elles se construisent en lien permanent avec la politique, l'Histoire, les sciences... C'est cette réflexion qu'on retrouve dans un article de 2007, intitulé La Terre est enfin ronde, et qui est très important également pour moi. 

C'est une forme de déconstruction permanente, qui sans cesse associe un élément à un autre, en dépassant les catégories habituelles comme vivant/mort ou animal/végétal/minéral. Oralieu doit beaucoup à cette idée de l'attachement, dans lequel j'entends aussi une proximité presque amoureuse avec les choses qui nous entourent. 

Les 7 stimuli du goéland



J'ai trouvé ce crâne de goéland argenté sur une plage de Ouessant. Je l'ai nettoyé. 

Wikipedia m'informe sur le goéland de Ouessant :

L'étude la plus célèbre le concernant est liée à l'histoire de l'éthologie à ses débuts. Elle a trait aux stimuli impliqués dans le nourrissage du poussin. Très vite, on constate que le poussin du goéland argenté pique du bec vers toutes sortes d'objets de couleur rouge. En 1937, Friedrich Walter Goethe est le premier à mettre en évidence de manière expérimentale l'importance de la tache rouge du bec de l'adulte dans le nourrissage du poussin ainsi que le caractère inné de ce comportement. À partir du printemps 1947, Niko Tinbergen et ses étudiants reprennent et approfondissent les observations de Goethe. Utilisant des leurres (têtes de goéland adulte artificielles dont il modifie les caractéristiques en fonction des hypothèses), il confirme le caractère inné du comportement et parvient, à l'issue d'une impressionnante série d'expériences, à dégager sept stimulus principaux déclenchant la sollicitation du poussin : le mouvement de la tête parentale ; la forme du bec (de préférence long et fin, c'est-à-dire correspondant plus à la forme vue de dessous que de profil) ; la distance au sol ; la position du bec (il doit pointer vers le bas) ; la proximité du bec par rapport au poussin ; la présence et la couleur de la tache sur le bec de l'adulte (rouge de préférence, mais d'autres couleurs fonctionnent presque aussi bien) ; le contraste de la tache par rapport au bec. Au-delà des critiques qu'elle a suscitées au fil des ans, cette étude a profondément marqué l'origine de l'éthologie moderne. Elle reste un grand classique, cité dans la plupart des ouvrages consacrés à cette discipline.

Qu'est-ce que ça a à voir avec ORALIEU-Conakry ? Face au singe attaché sur le pont du bateau, je me demande combien de stimuli constituent son comportement. La tique, nous raconte Deleuze, réagit à 3 stimuli en tout et pour tout. Et moi ? Et nous ? Y-a-t-il, profondément enfoui en nous, l'héritage de stimuli qui déterminent nos goût et nos couleurs ? 

Le NON, le chauffeur de taxi et les vautours.

Durant mon séjour à Conakry, je logeais dans un hôtel un peu excentré, depuis la fenêtre duquel j'ai filmé la vidéo qui sert de départ à Oralieu-Conakry. Le chauffeur d'un taxi qui m'avait pris en charge devant cet hôtel me disait avoir grande hâte que les Européens investissent dans le pays. Car, me disait-il, depuis que la Guinée avait été le seul pays, lors du référendum de 1958, à rejeter la proposition de De Gaulle d'être intégré au sein d'une communauté française, la Guinée n'avait plus aucun échange commercial avec l'Europe, et le pays en souffrait grandement. 



Il me montrait au passage de nombreux bâtiments abandonnés, témoins de son propos. Attention, me disait-il, nous savons bien que vous en prendrez la plus grande part, mais les miettes seront toujours d'avantage que ce que nous avons aujourd'hui. 


Je me demandais alors, après coup, ceci : le non au référendum de 1958 peut-il être pour quelque chose dans la présence de vautours dans le centre de Conakry ? 

Hakim Bah

Il y a quelque chose d'un peu gênant à l'idée de parler d'un lieu situé en Guinée Conakry sans évoquer du tout l'extrême violence qui régna durant des années dans le pays. Mais il est difficile pour moi d'en parler, je ne suis pas spécialiste, je ferai toujours moins bien que la page Wikipedia. 

J'ai rencontré à Conakry, au Centre Culturel Franco Guinéen, un jeune auteur contemporain nommé Hakim Bah. J'ai eu la chance d'entendre Hakim lire son texte Le Cadavre dans l'oeil. Dans ce texte, il est question du camp de détention Boiro, de la dictature d'Ahmed Sékou Touré, du pont du 8 novembre qui servaient pour les pendaisons. Il est question de la manière dont l'image du cadavre paternel s'inscrit de manière obsédante dans l'oeil d'un jeune garçon. 

C'est Le Cadavre dans l'oeil, d'Hakim Bah, qui m'a le plus clairement et directement parlé de la violence des années Sékou Touré. 

L'imagination

En imaginant un être intermédiaire entre l'homme et le singe, un être issu de l'évolution qui correspondrait de manière détournée aux habitants de la vallée dérangeante, je m'amuse - de manière peu scientifique - à doter cet être d'une capacité de compréhension, mais pas d'imagination. Que serait cet être qui aurait une capacité d'appréhender le Monde proche de la nôtre, mais qui se verrait incapable d'imaginer, donc de construire des fictions, du mensonge ? 

Dans le très bon film Galaxy Quest, les Extra-terrestres ont téléchargé depuis l'espace tous les épisodes d'une série américaine proche de Star Trek, et ils les ont pris pour des documents historiques. Je ne vais pas spoiler l'ensemble du récit, mais le moment où les humains expliquent à leurs alliés E.T. qu'ils ne sont que des acteurs, ce moment est très émouvant, et tragique.