Plus aucune trace de la vitalité, rien du mouvement régulier des marées. Nulle part le signal coloré dʼun animal ou dʼune plante, la magie dʼune trace de vie. Pas une goutte dʼeau. Parfois, quand la couche de sel est un peu moins épaisse on devine le reste dʼune couleur, un peu du vert défraîchi dʼune ancienne algue, ou bien la surface dʼun rocher noir. Je dois plisser les yeux pour deviner ces dernières images. Tout le reste est blanc, uniforme, éblouissant. Je sens sur le bord des paupières le liquide de mes yeux qui sʼévapore pour former à son tour de petites croûtes. Ce sel qui sort du corps se détache de lʼeau qui sʼévapore, il ronge les dernières images, il voile ce que je peux encore distinguer dans le blanc absolu du paysage. Je vais finir de sécher, jʼavance encore, peut- être quʼici la couche de sel est plus épaisse, je ne distingue presque rien dʼautre que du blanc, infinie variante de blanc : luminescent, éblouissant. Lumière totale et scintillante.
Sur ce sol sec de roches et de sel circule une ligne noire et tordue, une calligraphie, ou bien une suite de pictogrammes, écriture irrégulière et violente. Si visible, noir tracé sur le blanc salé, illisible. Quelquʼun a tracé ici au pinceau une dernière ligne, au travers du blanc épuisé. Noire, cʼest à peine une écriture, ou bien celle dʼun mourant, message tracé par aucun humain. Au bout : un petit tas de chair. Cʼétait un poulpe. Il a rampé jusque ici, par mouvements coordonnés de ses tentacules, trajectoire désordonnée, chair brûlée par le sol, asphyxiée par lʼair sec. Cruauté du sel. Sa poche dʼencre sʼest vidée doucement, jusquʼau bout, et jʼassiste aux dernières impulsions nerveuses de sa chair à vif. Enc(o)re. Un peu de jus noir et épais qui coule. Cʼest la dernière tentative de son corps pour se lubrifier. Ses tentacules se mêlent en faisant couler le dernier jus, poisseux, visqueux, sexuel.
Est-ce que je rêve, moi, de me lubrifier avec mon encre ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire