Silent Bubbles est une oeuvre qui n’existe que par des photos et un film. Dans Silent Bubbles, une épave grecque, située à cinq mètres sous la surface et constituée d’un ensemble d’amphores soudées entre elles par le temps, est doublée de sa version flottante et plastifiée : à chaque amphore intacte on a attaché, par un fil court et invisible, ce qui ressemble à une bulle de plastique. Il s’agit en fait de ces poches plastiques transparentes qui contiennent le vin dans les boîtes en carton, tels qu’on les vend au XXIème siècle dans les grandes surfaces. Séparées de leur carton, vidées de leur vin, remplies d’air, ces poches deviennent presque invisibles sous l’eau, et ressemblent alors à de très grosses bulles d’air sur lesquelles on aurait attaché un tout petit robinet. Invisibles depuis la surface, les bulles oscillent entre deux eaux, dans le courant léger de l’anse de Limeni, attachées à l’épave, tendues vers la surface par la pression de l’eau sur l’air qui les remplit. Au travers de l’eau salée elle prennent le soleil, doucement, à peine visibles, comme un mirage, écho translucide à l’épave qui hante le fond marin.
J’ai pensé Silent bubbles comme un dialogue entre amphores millénaires et poches de plastique remplies d’air, un dialogue qui joue du lourd et du léger, de l’ancien et du nouveau, du mobile et de l’immobile, du mat et du lumineux. C’est l’intrusion du plastique jusque dans les espaces les plus protégés, une intrusion que j’ai voulue lumineuse, éclatante, légère comme ces bulles d’air qu’on voit briller dans le courant des torrents, ou comme la bulle argentée de l’argyronète, cette minuscule araignée qui passe son existence sous la surface des étangs, tissant au quotidien la toile très fine qui capture l’oxygène et la lumière qui la font vivre. Une intrusion poétique, donc, mais dont on perçoit bien l’aspect artificiel, irréconciliable, et qui maintient une tension constante : une prière à l’épave pour qu’elle remonte vers la surface, qu’elle retrouve le monde humain abandonné, qu’elle reprenne le dialogue avec le présent, celui, à la fois trivial et poétique, que représentent les amphores de plastique translucide.
- Pourquoi Silent Bubbles ? Pourquoi un titre en anglais ? C’était pour avoir l’air d’un artiste international ?
C’est vrai, ça peut jouer. Surtout, je ne pouvais pas taire la symétrie de mes bulles sous-marine, plongées dans le monde du silence, avec les Speech bubbles de Philippe Paréno. C’est un artiste qui a créé des bulles de BD en 3D, gonflées à l’hélium, et qui se plaquent aux plafonds des musées. Celui qui regarde Silent bubbles n’est pas obligé de le savoir, mais dans mon imaginaire, les bulles de plastique tiraient d’autant plus les antiques amphores grecques vers la surface qu’elles espéraient rejoindre, dans un effort supplémentaire, les Speech bubbles de Paréno, plus légères que l’air.
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